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CULTURE – Ngóor de Big Dat X : « un son au parcours narratif digne d’un roman d’aventure » – Par Elaz Ndongo THIOYE

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il y a 8 moison
Par
Salmane AF Sow
Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une analyse de roman, mais d’un texte de rap digne de toutes les vertus d’un roman d’aventure et, mieux encore, de formation. De la même manière que l’histoire d’un roman se raconte à travers un récit, celle d’un texte de rap aussi se dit par un « narrateur » appelé, dans ce contexte : rappeur. C’est le fait de mettre l’histoire en récit, qui est ici le texte rapé, qu’on appelle, dans un langage très simple, narration. Nous ferons l’économie de la parole pour ne pas trop discutailler sur les différences qui existent entre « récit », « histoire » et « narration ». Mais retenons juste la simplicité des définitions pour aller à l’essentiel.
Dans la narration, il y a un concept bien connu sous l’appellation de « schéma narratif » comportant 5 éléments ou étapes que sont:
- la situation initiale
- l’élément perturber ou modificateur
- les péripéties
- le dénouement
- la situation finale
Après les avoir listés, nous allons analyser le texte dont il est question « Ngóor » en faisant référence aux éléments susmentionnés qui, comme dans un roman à forme classique, sont bien présentes dans le texte du rappeur thiessois Big Dat X. Le texte débute par une présentation assez simple et informative sur un jeune « seereer » quittant son village pour une aventure dans la capitale:
« Tur bi Ngóor la waay, dëk ba laa jógee ».
Au-delà de l’imaginaire que pourrait renvoyer le prénom « ngóor » dans l’univers sérère, nous nous intéressons, à notre niveau, pour cette petite présentation, au procédé phonétique avec l’absence de la gémination k dans « dëk », qui en dit long sur la prononciation sérère de quelques mots wolofs. C’est un élément linguistique très important nous permettant d’identifier très facilement l’appartenance éthique du personnage. L’identification établie, le personnage décline sa trajectoire pour aller à la rencontre d’une autre vie ( am mission wu Ong-Bak te warumaa guddee). Ce passage annonce tout l’itinéraire du personnage, quittant son village natal pour une aventure dans la capitale avec l’objectif de retourner un jour parmi les siens. Dans le processus narratif d’un roman, c’est cette situation de stabilité que l’on appelle communément situation initiale ; situation dans laquelle la trame de l’histoire n’est pas encore dans sa plus forte manifestation. Jusque-là, la situation du village et la psychologie du personnage n’ont pas encore touché le summum de la catastrophe même si les choses ne tarderont pas à se mouvoir vu les circonstances et le contexte d’un hivernage pas prometteur :
Ñëpp xam ne mbay mi neexul ren
Nawet bi daa échec
Évoluant dans un contexte très difficile dans son village et soutien de famille, une seule possibilité se présente sous ses yeux : aller chercher du travail dans la capitale. Comme dans toute aventure de jeune, la bénédiction de ses parents est une force-clé qui peut beaucoup faciliter. Ngóor reçoit la bénédiction de ses parents avant de prendre chemin :
Waajur yi ñaan ne mën na maa tegu ci yoon
Kàddu gi mujj goreel ak lumu mënti doon
Chemin faisant, il atterrit au cœur de la capitale et commence à se débrouiller comme tous les jeunes qui, pour la première fois, se confrontent aux réalités de la vie urbaine. Entre considérations et jugements, l’exode rural est aussi victime d’une certaine violence verbale qui dit tout sur la conception que, bien souvent, les gens de la capitale ont sur ceux-là qu’ils nomment sous le sobriquet « kaw-kaw ». Le ton est donné : Daa paas ñëw come on town la ba ko ci biir ». Tout ceci participe au parcours de combattant qu’il faut pour s’intégrer dans la vie de la capitale, des capitales. Sans oublier, l’une des originalités de ce texte, en termes d’écriture, c’est la présence de la polyphonie qui, en aucun cas, ne casse le rythme de la narration. Cette subtilité avec laquelle le rappeur ( ou le personnage) intègre d’autres voix dans son processus narratif, est très séduisante et montre à quel point il maitrise les subtilités de la narration.
Les évènements se succèdent et élargissent le champ d’action du personnage ( travail, permis de conduire, rencontre d’une belle fille). C’est à partir de cette rencontre que commencent les choses qui vont plus tard compliquer sa vie. C’est l’élément perturbateur, dans sa véritable réalisation, qui va bouleverser le cours normal des choses. L’amour, quand tu nous tiens ? (Rires). Sa relation amoureuse avec la belle Lalia est à l’origine de toutes les difficultés qu’il va subir ( d’un piège pour du chanvre indien à la prison). La jalousie constitue l’onde négative qui va entrainer l’emprisonnement de Ngóor pour qui la seule faute est de « rivaliser » avec un « homme de tenue » : le pouvoir des galons. Comme nous le voyons, c’est l’expression la plus aboutie de l’abus de pouvoir exercé sur un jeune qui ne voulait que réussir dans la vie. L’exemple de Ngóor est la malheureuse histoire de tant d’autres personnes victimes d’un pouvoir qui, en principe, devrait les protéger. « Takk der », l’appellation qui sous-tend « le fouet » dont il se sert pour briser l’élan de vie du jeune villageois ( aucun sens péjoratif). Le schéma se décline : silence coupable, justice pour les forts, prison pour les faibles sans voix. Dans le parcours du personnage, les péripéties se jouent dans un cadre fermé : la prison. Contrairement aux normes connues pour gérer ce genre de situation dans un roman, celles de Ngóor obéissent à d’autres réalités. Chez lui, la porte d’ouverture vers la vie se passe dans un endroit clos (entre 4 murs). La prison est, pour lui, un lieu de formation et de prise de conscience. De là naît un autre élan du texte : la dénonciation des conditions humaines de la vie carcérale. Entre perversions ( pédophilie, homosexualité…) et manque de respect de la dignité humaine, la prison qui devrait être une maison de correction de certains comportements déviants, est malheureusement devenu un centre de formation de délinquants. L’espoir n’est plus permis si aucune forme d’insertion n’est garantie après la détention, si le prisonnier préfère la vie en prison que le retour vers une société qui le rejette, réduisant en néant toute son identité humaine. Ngóor a conscience du poids du regard, lui qui, en prison, apprend déjà la mort du pater (te dégg naa wácc liggéey paa bi meer bi di souffrir).
L’épisode de la prison raconte une autre histoire dans la grande histoire du personnage Ngóor, c’est une sorte de mise en abîme dont la pertinence est de sous-tendre l’histoire de base. Peine purgée, il retourne dans la vie en société. ( Nous lui souhaitons une intégration à la hauteur de toute dignité d’un prisonnier qui, sous aucun prétexte, ne doit être rejeté par ses pairs). Les problèmes se dénouent, ou presque, et les choses semblent revenir à la normale (sortie de prison), et il est appelé à un autre saut au risque d’oublier ses ambitions de départ. Résolution, peut-être. Perspectives, oui certainement. L’avenir nous en dira plus.
Comme promis au départ, nous avons juste proposé d’analyser ce texte à la lumière des éléments du parcours narratif que nous avons établi dans le corps de notre analyse. Parfois avec beaucoup de subtilité et d’économie de la parole pour avoir un nombre raisonnable de pages. Déjà, c’est beaucoup, je suis désolé de la longueur. Nous allons juste relever deux éléments importants en guise de conclusion. Le premier est que, vu de très près, ce texte du rappeur Big Dat X traite, à bien des égards, de la problématique de l’exode rural qui, malheureusement, continue toujours d’exister à cause d’une mauvaise politique de décentralisation. Ainsi, les jeunes seront obligés d’aller chercher de quoi nourrir leurs familles. C’est une question d’honneur. Le deuxième élément, et c’est très normal, est une critique d’une partie du texte ( une critique qui relève de la chronologie des textes c’est-à-dire de l’arrangement). Cette critique ne peut se justifier que dans la mesure où c’est l’album MIC Check, dans son entièreté, qui est pris en compte. Ou du moins, pour être plus précis, dans la mesure où le texte est en question est sous soumis à l’analyse en rapport avec un autre texte de l’album : Kiiraay.
Dans Ngóor (texte numéro 4), il est dit : « Man fu ndox tuuroo dama támm dem rootiwaat ko sip diir » et dans Kiiraay ( Numéro 3) : « Bu ndox tuuroo defal ni Ngóor demal nga rootiwaat ». Dans la suite des deux évènements, ce qui est dit dans Ngóor est antérieur. De ce fait, pour garder la logique, le son Kiiray devrait venir après Ngóor. C’est aussi le même procédé qui devrait se faire entre l’épisode où Ngóor a été emprisonné injusticement dans le silence total et cette partie dans Kiiraay où Big Dat X dit : « Fii la tribunal di tëj innocent te kenn du taxaw àllu ». Ce sont quelques éléments que nous allons relever, à notre simple avis, comme manquements dans la chronologique de ces textes.
Pour conclure, nous pouvons dire que le texte éponyme Ngóor ( titre et prénom du personnage) remplit tous les procédés du parcours narratif d’un roman classique avec, bien entendu, plus de subtilité narrative dans la manière dont les péripéties ont été joués : un dénouement assez particulier dans un endroit aussi fermé que la prison. Contre toute attente, la prison se révèle à Ngóor telle une fenêtre ouverte sur les réalités de la capitale dont le mot d’ordre est : capital. Entendons par-là argent. Partir à la quête d’une vie meilleure pour soutenir sa famille, Ngóor a gagné plus : l’expérience de la vie. Du point de vue esthétique, le texte est écrit avec une grande simplicité dans les lyrics et une profondeur dans les images. Big Dat X sait tisser les mots et construire des images d’une beauté poétique sans égale. Nous nous réjouissons d’avoir pris le temps d’écouter plusieurs fois le texte pour pouvoir nous livrer à cette analyse. Par la même occasion, nous présentons nos excuses aux mélomanes qui le liront si, bien sûr, il y a des éléments qui manquent à l’analyse et dont leur présence donnerait plus de valeur artistique à ce texte.
Poète sénégalais, Auteur des recueils de poèmes : « Douces cacophonies » et « Cantiques crépusculaires ». Lauréat poésie-Prix Cénacle National du Livre 20

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Libre Expression
Tribune de boursiers sénégalais du Mandela Washington Fellowship adressée au Président Macky Sall

Publié
il y a 2 moison
11 août 2023Par
Sétanal Média
À Son Excellence, Monsieur Macky Sall, Président de la République du Sénégal
Pour un État de droit juste et équitable envers tous ses citoyens
Nous, citoyens et citoyennes sénégalais peinés et soucieux de la situation trouble du pays, nous permettons de vous interpeller sur cet état des choses.
Nous croyons que, pour parvenir à un Sénégal meilleur, il est essentiel de faire progresser l’État de droit et de garantir les droits et libertés de tous ses citoyens, sans exception. Malheureusement, depuis quelques années, notre pays est frappé de plein fouet par une série de violences et de répressions sans précédent face auxquelles les seules victimes sont les populations dans leur grande majorité. Il n’est pas difficile de comprendre que tous ces remous et tensions ont une origine politique. Cette instabilité caractérisée par des crises profondes dans le fonctionnement de nos institutions les plus sacrées s’adresse à vous en premier et nous amène, par ailleurs, à vous rappeler que vous incarnez l’union de la nation et avez la responsabilité historique de promouvoir un climat politique apaisé, un dialogue social inclusif, d’encourager une culture de débat respectueux et d’assurer l’indépendance des institutions gouvernementales, en veillant à ce que les principes de la démocratie et des droits de l’homme soient respectés en toutes circonstances.
Monsieur le président, vous vous êtes toujours réclamé républicain dans l’âme. Par ailleurs, vous êtes fondateur et actuel président d’un parti nommé Alliance pour la République et votre rôle en tant que Chef de l’État exige de veiller au respect de la Constitution.
L’article 8 de la Constitution du Sénégal « garantit à tous les citoyens les libertés individuelles, fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs. Ces libertés et droits sont notamment : les libertés civiles et politiques : liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de presse, liberté d’association, liberté de réunion, liberté de déplacement, liberté de manifestation, les libertés culturelles, les libertés religieuses, les libertés philosophiques, les libertés syndicales, la liberté d’entreprendre, le droit à l’éducation, le droit de savoir lire et écrire, le droit de propriété, le droit au travail, le droit à la santé, le droit à un environnement sain, le droit à l’information plurielle. » Elle précise quand même que ces libertés et droits s’exercent dans les conditions prévues par la loi.
Dans cette même Constitution, l’article 10 dispose que « chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public ».
De plus, l’article 14 dispose que “tous les citoyens de la République ont le droit de se déplacer et de s’établir librement aussi bien sur toute l’étendue du territoire national qu’à l’étranger. Ces libertés s’exercent dans les conditions prévues par la loi”.
Monsieur le président, vous en êtes témoin, le nombre de citoyens ayant subi une répression des forces de l’ordre ou ayant été arrêté par celles-ci, est plus qu’élevé. Leur seul tort, avoir voulu jouir de ces libertés et droits de manière pacifique. Les interdictions quasi systématiques d’exercice de ces droits élémentaires ont conduit à des mesures répressives d’une extrême violence de la part des forces de l’ordre, incluant de marcher quotidiennement sur des cadavres. La situation actuelle du pays est inflammable et les manifestations de plus en plus violentes cristallisent le ras-le-bol populaire. Pourtant, il n’y a rien de plus légitime que de vouloir exprimer sa volonté d’une gouvernance saine de son pays, d’une justice équitable et d’un coût moins élevé de la vie.
Monsieur le Président, le nombre de morts enregistrés depuis mars 2021 est révoltant. Tous ces crimes sont pour le moment impunis, tout comme les nombreux écarts de gestion relevés par les différents corps de contrôle de l’État concernant des ministres, directeurs généraux ou autres membres de votre cercle.
Monsieur le Président, les mesures de coupure d’accès à l’internet, des données mobiles ou l’accès de certains réseaux portent fortement atteinte à ce droit. Aussi, n’êtes-vous pas sans savoir le poids de l’économie numérique dans un pays comme le Sénégal. Par ces mesures iniques, vous privez des milliers de Sénégalais, pour qui internet et les réseaux sociaux constituent un moyen crucial de communication ou de transaction, de sources de revenus au quotidien. C’est le cas également des motocyclistes et cyclomotoristes à qui il est empêché de circuler dès lors qu’un procès politique ou une manifestation doivent se tenir. Par ailleurs, des milliers d’étudiants sont empêchés d’étudier depuis des mois, chassés de force de leurs campus, et cela, dans des conditions difficiles – sans nourritures pour la plupart ou exposés à des dangers comme le viol pour les filles.
Monsieur le Président de la République, quel legs souhaitez-vous faire à ce pays ?
Le tissu social du Sénégal n’a jamais été aussi malmené et déchiré. La mal-gouvernance endémique des ressources publiques et les querelles politiques semblent avoir créé des monstres au sein de la population. Notre peuple qui était reconnu par la qualité des relations entre les différentes communautés qui le composent, est transformé en groupes se regardant hélas en chiens de faïence, s’écharpant à coups de délations et d’accusations, se souhaitant mutuellement la mort. Le mal est profond, d’autant plus que cette animosité germe aussi dans le cercle familial.
Il sera également difficile pour tout concitoyen d’oublier que, pour une première dans l’histoire du pays, une plainte pour crimes contre l’humanité a visé un Président sénégalais. Du fait de ces atteintes constatées aux droits et libertés individuelles et collectives, le Sénégal est en train de “passer de vitrine de la démocratie à latrine de la dictature, en seulement 12 ans, après 51 années de farouches luttes politiques, sociales et syndicales.”
Monsieur le Président, il n’est pas trop tard pour vous rattraper. Votre décision de ne pas vous présenter comme candidat aux prochaines élections présidentielles du Sénégal est un premier pas salutaire. Dans votre déclaration du 3 juillet dernier, vous disiez « j’ai un code d’honneur et un sens de ma responsabilité historique qui me commandent de préserver ma dignité et ma parole ».
Parce que nous sommes convaincus que vous croyez foncièrement en ces paroles, nous vous suggérons d’aller plus loin en faisant, par ailleurs, preuve de sens du fair-play et surtout, en témoignant de votre sens de l’humanité.
Nous estimons, avec sincérité, qu’il vous est possible de défendre l’État de droit sans faire appel à des pratiques d’État policier en réprimant violemment, intimidant, arrêtant, détenant arbitrairement ou torturant toute voix dissonante.
Il nous faut la participation de tous, et plus particulièrement celle des jeunes, pour que le pays aille de l’avant. Et il est de votre devoir comme du nôtre d’œuvrer pour léguer aux générations futures un pays paisible, indépendant, riche de ses citoyennes et citoyens, un État fort, garant de leur éducation, de leur santé, de leur liberté, mais par-dessus tout, de leur dignité d’êtres humains.
Fait à Dakar, le 9 août 2023,
Ont signé
Oulematou CAMARA, citoyenne sénégalaise
Mariama NDIAYE, Entrepreneure
Daouda Malick GUEYE, citoyen sénégalais
Rokhaya DIOP, comptable, citoyenne sénégalaise
Ndiogou GUENE, Ingénieur en génie civil, citoyen sénégalais
Thioro GNING, citoyenne sénégalaise
Mansour SAMB, citoyen sénégalais
Aminata DIOUF, citoyenne sénégalaise
Azil Momar LO, journaliste, citoyen sénégalais

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