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Sénégal : l’exode des pêcheurs – ARTE Reportage

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Sous le voile de la nuit sénégalaise, des milliers de pêcheurs, désespérés par la raréfaction du poisson due à la concurrence des chalutiers industriels, entreprennent une traversée dangereuse vers les Canaries. Plus de 30 000 migrants ont atteint clandestinement cet archipel espagnol au 1er novembre 2023, marquant un exode massif. Les accords de pêche avec l’Union européenne et les licences attribuées à des navires chinois ont laissé les pêcheurs sénégalais sans moyens de subsistance, les poussant à quitter le pays en quête d’une vie meilleure.

Source Arte / Sénégal : l’exode des pêcheurs

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[REPORTAGE] – La Mort sous X : Morts non identifiés, les derniers jours dans l’ombre

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Inconnus, de la morgue à la tombe, ils n’ont pas de nom, ni d’âge. Les professionnels de la santé les désignent comme “la personne”, parfois “le défunt”, ou tout simplement “les corps”. Pendant des jours, des mois, voire des années, ils attendent en quête de reconnaissance, jusqu’au jour où ils tombent dans l’oubli, dans une tombe. Au Sénégal, ces personnes sont inhumées sans que leur identité soit connue, un procédé enclenché par l’État à travers l’administration des structures de santé. L’année dernière, l’hôpital Le Dantec et celui d’Idrissa Pouye de Grand Yoff ont procédé à l’enterrement de près de 70 personnes décédées entre 2018 et 2022.

Le drame d’Issa Pouye : « Un homme sans famille à l’hôpital »…

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En février 2022, Issa Pouye, âgé de 35 ans, s’est présenté à l’hôpital Nabil Choucker de Dakar, se plaignant de douleurs à la poitrine. Dans un état critique, il a été rapidement transféré à l’hôpital Idrissa Pouye de Grand-Yoff. Après trois heures de soins, l’homme est décédé des suites d’une pneumonie bilatérale diffuse. Le problème est qu’il était seul à l’hôpital, sans aucun membre de sa famille. Le docteur Diakhité, médecin légiste à l’hôpital Idrissa Pouye de Grand Yoff, explique : « La première chose à faire est de prendre des photos immédiatement pour rechercher des informations concernant le défunt. Au-delà d’un mois, le visage de la personne commence à subir des changements ».

Dans la morgue de l’hôpital, l’odeur est particulière, surtout insupportable pour les non-initiés, en raison de la putréfaction des cadavres. De plus, le sol est assez salissant, laissant place aux mouches attirées par cette décomposition.

« Après huit mois de recherche de membres de la famille ou de connaissances d’Issa Pouye, l’hôpital a décidé de prendre en charge son inhumation », explique le docteur Diakhité.

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Une vue de l’hôpital général Idrissa Pouye –Google Map

Les hôpitaux au Sénégal sont confrontés chaque année à la présence de personnes décédées non identifiées dans leurs morgues. Il s’agit de mort-nés, de sans-abri, de malades mentaux ou de victimes d’accidents, de personnes décédées des suites maladies graves ou de noyade, et ces corps sans identité attendent patiemment dans les tiroirs de la morgue.

Le 19 septembre 2022, l’hôpital Idrissa Pouye de Dakar a enregistré la présence de 10 corps non identifiés dans sa morgue, dont 6 Sénégalais et 4 étrangers. Le docteur Diakhaté précise :

« Nous avons deux Nigériens, un Français et un Belge qui sont là depuis deux ans, et nous ne pouvons ni les enterrer ni les rapatrier n’importe où sans l’ordre de leurs ambassades. En revanche, nous allons procéder à l’inhumation des six Sénégalais aujourd’hui ». docteur Diakhaté

La procédure légale pour l’inhumation est normalement enclenchée après 45 jours, lorsque l’hôpital adresse une lettre au procureur de la République, sollicitant l’autorisation d’inhumation.

Le lavage mortuaire dans les règles de l’art

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Délicatement, le regard s’aventure dans cet endroit où la mort règne en maître, avec une odeur toujours aussi pesante. Dans les couloirs de la morgue de l’hôpital Idrissa Pouye de Grand Yoff, règne une ambiance pesante. Sur un décor vétuste, se dresse un grand bâtiment qui ouvre sur une grande véranda, donnant accès à deux zones bien définies. Dans la première, une zone constituée de cellules réfrigérantes et d’équipements de conservation des corps spécialement conçus pour ralentir le processus de décomposition, mais aussi d’une salle d’autopsie. La seconde est réservée à l’accueil des familles en deuil.

On trouve également une salle réservée au personnel administratif. Sur la véranda, des hommes, qu’ils soient neveux, oncles, frères, pères ou fils, doivent faire face à la paperasse administrative pour récupérer le corps de leurs proches. Il faut quelques minutes pour voir sortir des corps bien enveloppés dans du linceul blanc, avant qu’ils ne soient placés dans le corbillard. En voyant cette scène, les visages se crispent davantage, laissant transparaître la tristesse, avec parfois de petites larmes essuyées à la va-vite. Si ce n’est pas trop indiscret à dire, c’est une aubaine pour certains défunts d’avoir leur famille pour leur rendre un dernier hommage au seuil de la tombe. Cependant, ce n’est pas le cas des morts non identifiés. Ils attendent d’être retrouvés par leur famille.

La conservation des corps dans cet endroit est d’abord synonyme d’une odeur insupportable pour les non-initiés. Enfermés dans des compartiments à moins quatre degrés, on découvre des visages affaissés et rigides, avec des bouches entrouvertes laissant apparaître des dents en mauvais état, la décomposition rendant les dents complètement visibles. Tiroir après tiroir, le légiste montre des corps méconnaissables et presque momifiés, sans visage. Tout d’abord, il s’agit du corps d’Issa Pouye, qui avec le temps finit par perdre son apparence bien soignée. Dans le second compartiment repose Saliou Diouf, âgé de 60 ans. La seule information dont dispose l’hôpital à son sujet est qu’il habitait à Liberté 6, et il est décédé après trois jours d’hospitalisation des suites d’une cardiopathie hypertrophique, comme l’indique le certificat de genre de mort. Le service des admissions n’a pas pris soin de recueillir toutes les informations permettant son identification. « Saliou est là depuis le 21 janvier 2022 », informe le légiste.

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Quant aux quatre autres décès restants, ils demeurent anonymes, et les causes de leur décès restent inconnues, aucune enquête policière n’a été ouverte dans ce sens.

Dernier rituel : le lavage mortuaire selon Imam Ciss

Issa Ciss, encore appelé Imam Ciss, travaille à la morgue de l’hôpital depuis 2005. Il est responsable de la salle de préparation funéraire, une salle dédiée à la préparation des corps avant leur remise aux familles. Il dirige aussi les prières pour les corps non identifiés. Âgé de 80 ans, il a vu toutes sortes de personnes passer en ces lieux, des sans-abris, des suicidés, des victimes d’accidents. Le vieil homme se déplace lentement, habitué à voir ces corps sans vie, parfois dans un état préoccupant. « J’ai vu passer un grand nombre de personnes sur cette table, des plus faciles aux plus difficiles à préparer », déplore-t-il. Il regrette le manque de reconnaissance des autorités envers son travail.

« Nous n’avons pas de salaire. Le maximum que nous pouvons gagner avec ce travail correspond à 10 000 francs en lavant un corps », nous dit-il. En ce qui concerne les six corps non identifiés dont il a la charge de réaliser le lavage mortuaire, « c’est une prestation que je fais pour l’administration », renseigne-t-il. Issa Ciss, encore appelé Imam Ciss

Six pieds sous terre, mais dans l’anonymat

Avec des gants isolants, il soulève délicatement l’un des corps, qui par la même occasion tache son tablier de protection du sang désormais de couleur très proche du noir. Dans cette salle, la putréfaction règne en maître, et l’odeur insupportable ne semble pas déranger le responsable de la morgue, Monsieur Diakhité, qui ne porte ni masque ni gants. Un à un, M. Ciss et son assistant procèdent au lavage mortuaire. Le corps est d’abord placé sur une table de dissection en acier de la morgue. Avec un linge opaque, les deux professionnels cachent les parties intimes des défunts. À l’aide d’une raclette d’eau reliée au robinet dans un coin, le vieil homme de 80 ans commence par arroser la partie gauche.

« Parfois, nous avons affaire à des corps en très mauvais état, en raison d’accidents graves. Nous faisons de notre mieux pour que le lavage mortuaire suive les préceptes de l’islam » explique l’imam Ciss

« Lors de l’accomplissement des ablutions, nous dirigeons le corps en direction de la Mecque. Le processus commence du haut et se déplace lentement vers le bas. Initialement, nous commençons par la tête et le visage, en commençant du côté gauche, puis nous inclinons le corps vers la droite. À aucun moment le corps ne doit être retourné en direction de la table. En général, le corps est lavé trois fois, mais il convient de le faire autant de fois que nécessaire pour qu’il soit propre, avec des gestes doux, respectueux et attentifs », explique l’homme.

Après avoir terminé la toilette, les six corps sont soigneusement enveloppés d’abord dans du plastique pour éviter que le sang coule par terre, puis dans du linceul blanc, avant que des flacons de parfum ne soient versés sur l’ensemble des corps.

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« La dignité humaine est respectée jusqu’au bout, même s’il s’agit de personnes inconnues », déclare l’assistant de M. Ciss.

Le lavage terminé, les six corps sont installés au niveau de la véranda afin de procéder à la prière mortuaire. Chacune des personnes présentes sur les lieux fait son ablution et vient assister à la prière.

Le rôle d’Assane Diagne : technicien chargé de l’enterrement des défunts Inconnus

Assane Diagne est technicien supérieur au service d’hygiène, plus particulièrement environnementaliste et chargé de la gestion des déchets de l’hôpital Idrissa Pouye de Dakar. C’est lui qui se charge, après le lavage, de l’enterrement des corps inconnus avec son équipe. « Il y a des particularités dans la gestion des déchets combinant des corps sans vie et des éléments tels que le placenta par exemple. Nous sommes des hygiénistes, travaillant pour la sécurité des gens et des morgues. Notre rôle consiste à surveiller la disponibilité des corps. Si elle est pleine et qu’il s’agit de défunts non identifiés, nous cherchons des solutions pour libérer de l’espace. Si après 45 jours, nous ne parvenons pas à identifier un corps, nous nous chargeons de les enterrer. Dès que nous recevons les documents autorisant l’inhumation, nous procédons à celle-ci », explique-t-il.

« Pour cette fois, notre contingent est unique, composé de personnes masculines, mais il n’est pas rare de tomber sur des femmes, dans ces cas ce sont des femmes qui procèdent au lavage du corps. Comme on est dans un pays à majorité musulmane, à moins d’avoir un signe distinctif qui prouve qu’il est d’une autre confession, on suppose que la personne est musulmane) », confesse l’environnementaliste.

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Des numéros inscrits sur leurs plaques tombales au cimetière de Yoff

Au Cimetière de Yoff : l’adieu silencieux des corps sans identité

Prière faite, documents en main, direction le cimetière de Yoff pour l’enterrement des défunts. Dans le corbillard, l’ambiance est détendue, M. Diagne discute tranquillement avec le chauffeur, tandis que les deux personnes qui l’accompagnent se débrouillent pour maintenir les six corps droits dans cet espace exigu. Sur le chemin, les klaxons incessants du chauffeur pour se frayer un chemin dans le trafic infernal de Dakar, devenu presque quotidien, ne laissent personne indifférent. Certaines personnes assises se lèvent, d’autres s’arrêtent jusqu’à ce que le véhicule passe, rendant hommage aux défunts, nous apprend M. Diagne.

Au cimetière de Yoff, l’ambiance est tout aussi triste. Des cortèges se garent un par un pour inhumer leurs défunts et les accompagner dans leur dernière demeure. À l’entrée, la dépouille d’un enfant âgé d’à peine sept ans est déposée, en attente de la prière funéraire. La tristesse était aussi manifeste qu’une évidence sur le visage des personnes se tenant debout à côté du minuscule corps, soigneusement enseveli et attaché. Dans ce cimetière, des zones spécialement réservées à l’inhumation des personnes non identifiées existent. En l’espace de seulement 45 minutes, ils sont sous terre, enterrés deux par deux, les six corps reposant dans trois tombes. Le seul indice pour éventuellement permettre à leurs familles de les retrouver un jour sont les numéros inscrits sur leurs plaques tombales (5816, 5817, 5818, 5819…).

Reportage de : Fatoumata Bintou Ba


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